samedi 26 novembre 2016

Nouvelle orthographe : et maintenant ? (8/8)

Nénuphar ou nénufar ? Bientôt enseigné aux enfants ?
La nouvelle orthographe (NO pour simplifier) : une série de billets de Bernard Morin, correcteur professionnel, qui s'exprime sur notre blog.

On le retrouve aujourd'hui pour ses dernières réflexions sur le sujet (du moins dans cette série d'articles !)


*** 

ET MAINTENANT ?
Toutes les « autorités » y ont bien insisté : la « Nouvelle Orthographe » n’a rien d’obligatoire. On peut très bien continuer à écrire comme avant. Et la liberté est tellement totale que l’on peut faire tout à fait n’importe quoi.
D’abord, quelqu’un qui est favorable à la NO n’est pas obligé de l’appliquer totalement, dans toutes ses règles (ce qui impliquerait de les connaître toutes). On pourra très bien « être nouvelle orthographe » pour le pluriel des mots composés (et écrire un porte-avion, des porte-avions) et ne pas l’être pour conjuguer les verbes en –eler (et continuer à écrire il étincelle ou il amoncelle).
Mieux, on pourra appliquer une règle pour certains mots et pas pour d’autres : un porte-avion, des porte-avions, mais un coupe-vent, des coupe-vent ; tu amoncelles mais je chancèle ; girole mais corolle.
Mieux encore, comme me l’a expliqué une enseignante militante de la N.O., il ne sera pas reproché à un élève (pardon : un apprenant) d’écrire le même mot en appliquant indifféremment l’un ou l’autre des systèmes selon son humeur ou… au petit bonheur la chance. Une fois ile, une fois île ; un coup greloter, un coup grelotter ; tantôt vingt-et-un, tantôt vingt et un. Belle école de logique et de rigueur !
Imaginons que des auteurs veuillent profiter de ce laxisme. Voilà qui ne faciliterait pas le travail des correcteurs, eux dont une des tâches professionnelles est de veiller au respect de l’unification : tout au long d’un texte, d’une œuvre, un mot ou une expression pour lesquels deux versions sont admises doivent être écrits de manière identique (orthographe et typographie).

Tout est licite, donc. 

Par exemple dans les copies d’examens. Encore faut-il que l’examinateur qui lit assoir ou croute comprenne qu’il a affaire à de l’orthographe « rectifiée 1990 ». Sinon, il conclura à une faute. Mais peut-être les instructions ministérielles lui diront-elles, pour éviter toute erreur de ce type, de ne plus compter de fautes du tout ! Et que se passera-t-il quand un lecteur découvrira des bizarreries dans un livre dont l’auteur aura juste voulu se mettre à la page en appliquant l’orthographe rectifiée ? Eh bien ce lecteur croira à des fautes, à des coquilles, et en sera fort marri. 
En tout cas, si j’avais un conseil à donner à un étudiant, ce serait de ne pas prendre de risques et de s’en tenir à l’orthographe classique. Quant à donner le même conseil à un auteur, je me demande si ce serait bien utile, parce que je n’ai pas l’impression qu’ils soient nombreux à se ruer dans les facilités de l’orthographe new-look.

Ce qui me laisse aussi dubitatif quant à l’avenir de cette orthographe, c’est que précisément il faudrait que l’usage la consacre. Et l’usage dépend de la mode, de « l’air du temps », de ce que les gens disent et écrivent, aiment dire et écrire. 
Or la mode, de nos jours, est à la complexification du langage
  • On emploie des mots compliqués à la place de mots simples, même si leur sens n’est pas le même : problématique pour problème, thématique pour thème, volumétrie pour volume, différentiel pour différence. 
  • On ne fait pas de liaison avec humble comme si son h était aspiré. 
  • On alambique les tournures : demander à ce que au lieu de demander que, être en capacité de au lieu de être capable de. 
  • Et – puisque les débats ont souvent porté sur eux – on met des accents circonflexes là où il n’en faut pas. On écrit de plus en plus souvent tâche au sens de salissure, côte au lieu de cote, rôder pour roder. Et nos rectificateurs de 1990 qui voulaient les supprimer ! Ah ! mais non ! pas tous ! On garde l’accent sur le a, sur le e, sur le o ; on l’enlève seulement sur le i et le u. Oui, certes, pour l’instant. Mais, justement, on voit ces temps-ci fleurir les dîtes-moi, les faîtes donc… 
  • J’ai également souvent vu des içi et des merçi. 
Alors, cette « nouvelle orthographe » qui voudrait, paraît-il, rendre l’orthographe plus simple, je doute de son succès.
Alors, réforme ou rectifications, peu importe le terme, je n’y crois pas. 

A un bout, les amoureux du français, les lecteurs, les auteurs, les apprentis auteurs, de plus en plus nombreux, tous ceux qui aiment manier la langue, tous ceux-là ne suivront pas. 

A l’autre bout, croyez-vous qu’ils appliqueront la NO, ceux qui, sur les forums d’Internet, écrivent des choses comme (citations authentiques) :
– est vous y croyer a tous sa frenchemant pour moi ses un coup monté ;
– si certain son manger je trouve qu a l époque ou l ont vie sa ne devrai plus existé ;
– Sa doit pas etre facil a dire ;
– ont et pas allez le voir si sont fils ne lui donne pas d argent faut arrêter un peut.
L’avenir nous dira si ce qui n’a pas « pris » en vingt-cinq ans « prendra » dans les prochaines années. 
Au moment de conclure, j’ai envie de reprendre un peu facilement cette expression en vogue : tout ça pour ça ! Une réformette inspirée par un Premier ministre, Michel Rocard – paix à ses cendres… –, qui voulait montrer que lui aussi était un fin lettré. Des réunions du Conseil supérieur de la langue française, des travaux d’un comité d’experts, des auditions devant l’Académie. Un grand brainstorming d’éminents spécialistes. Tout cela pour accoucher d’une succession désordonnée de règles, d’un inventaire de bric et de broc de bricolages orthographiques, avec, dans le rôle du raton-laveur, la modification inaboutie d’une seule règle de grammaire (laissé + infinitif). 
Et que de choses non réfléchies ! Changer la conjugaison de cent vingt verbes là où il suffisait d’en modifier dix-sept ; exhumer du fond des dictionnaires, pour rectifier leur graphie, des mots que personne n’emploie jamais (mangeüre, fusarolle) ; et cette perle : supprimer le trait d’union de handball, qui n’a jamais existé ! Parfois, je me dis que certaines séances de travail de nos savants experts ont dû se tenir après de longs repas bien arrosés…
Il faut bien que vieillesse se passe.


*** 
Un grand merci à Bernard pour toutes ses recherches sur cette édifiante nouvelle orthographe. Merci à lui d'avoir contribué à notre édification. 
Il est vrai qu'à la lecture de tout ça, on se demande vraiment quelle mouche les a piqués de nous avoir pondu un truc pareil.
Quant à la mise en place de la nouvelle orthographe ?
Une amie (la même que celle du début de cette série d'articles qui se reconnaîtra) m'informe que ça y est !! La réforme doit être appliquée à l'école primaire dès cette année de manière obligatoire par le corps enseignant.
Donc nénufar obligatoire, et nénuphar toléré..., mais pour un temps de transition seulement !
Les manuels devront donc être modifiés au fur et à mesure de leur réédition.
Voilà qui promet ! Déjà que nos jeunes sont de moins en moins nombreux à écrire correctement !
Le temps que ces jeunes gens deviennent adultes et lisent les livres de Jacques, il va cependant se passer encore quelques années.
Quelques années de répit !! 

A bientôt pour de nouvelles aventures
Jacques-Line Vandroux   


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