Après l'écriture de Au Cœur du Solstice,
pour se changer les idées, Jacques avait eu envie de coucher sur le
papier son vécu du 11 septembre 2001 : une escapade d'une semaine en
Terre Neuve en tant que réfugié (c'est d'actualité). Il y a expérimenté
un formidable élan de solidarité.
Ce livre n'a pas vu le jour. La motivation de Jacques pour le terminer n'était pas au rendez-vous. Mais qui sait peut-être un jour...
L'an dernier, j'ai partagé avec vous un chapitre me concernant (et que, du coup, j'avais écris moi-même) que vous pouvez relire ici.
http://jacquesvandroux.blogspot.fr/2015/09/11-septembre-2001-voyageur-en-transit.html Cette année, je vous livre un deuxième extrait, rédigé cette fois par votre auteur préféré. Il s'agit dans cet extrait d'un récit fictif basé sur des événements réels.
Peut-être à l'an prochain pour un nouveau chapitre, on verra ;)
Bonne lecture à ceux qui se laisseront tenter.
***
Tombés du ciel
Gander, dix heures trente. Le troisième gros porteur
commercial venait de se poser sur la piste principale de l’aéroport. L’arrivée du
premier, un Boeing 747, avait déjà surpris les habitants qui avaient à faire
dans le coin, mais l’atterrissage des deux suivants était tout à fait étonnant.
Et ceux qui avaient une meilleure vue voyaient déjà un quatrième aéronef en
approche. Que se passait-il donc ? Gander avait encore une activité
militaire, mais les avions qui se posaient étaient des avions commerciaux. Seuls
les plus anciens de l’île se souvenaient de l’âge d’or de l’aéroport, qui était
alors la plate forme incontournable entre l’ancien et le Nouveau Monde.
John Phelp remonta dans son pick-up et démarra en trombe.
George Acombie disposait peut-être d’informations. Dans le cas contraire, ils
iraient voir le maire ensemble, régulièrement en contact avec l’officier en
charge de l’aéroport. Le temps était étonnamment clément pour cette période de
l’année. L’anticyclone dont ils bénéficiaient depuis le mois d’août les
accompagnait encore, mais une queue de tempête était annoncée pour le milieu de
la semaine. Ils s’en accommoderaient. Les Terres-Neuvards, ou Newfies comme les
surnomment de façon ironique les Canadiens du continent, sont rompus à toutes les
conditions climatiques. C’est une communauté rude, mais solidaire. Chacun a
besoin de son voisin dans ces terres isolées.
John conduisait depuis l’âge de quatorze ans. Ce n’était
certes pas l’âge officiel pour avoir le droit de se mettre derrière un volant,
mais nombre de ses amis avaient eu leur premier volant entre les mains avant
leur premier rasoir. Les distances étaient longues dans le pays, et les
transports en commun plutôt rares. Il ralentit en arrivant devant le garage Acombie.
Fin mécanicien, George réparait tout ce qui avait un moteur : une Ford,
une Toyota, un hydravion ou un robot ménager ne pouvaient pas résister plus de
cinq minutes à son coup d’œil chirurgical et à ses doigts habiles. George, les
mains sur les hanches et le regard pointé vers le ciel, ne se retourna vers son
ami que lorsqu’il fut à ses côtés
— C’est le sixième qui vient de se poser.
— Le sixième ! s’exclama John. Mais qu’est-ce qui se
passe ici ? Le maire a organisé un festival de musique folk sans nous
prévenir ?
— Je n’en sais fichtre rien, répondit George avec un vague
sourire.
— Tu as écouté les infos ? Il doit se passer un truc.
— Un truc, oui, sans doute. Avec le boulot que j’ai, mon
ami, tu crois que j’ai du temps à perdre devant la télé. Et toi, tu n’as pas
écouté la radio dans ton tas de boue ?
John n’eut pas le temps de répondre négativement. Une
cassette du groupe dans lequel chantait son fils tournait en boucle depuis une
semaine. Un sacré bon band ! Martha les rejoignait en courant et en
secouant les bras. Arrivée à leur hauteur, elle s’accorda quelques secondes
pour retrouver son souffle.
— Qu’est-ce qui se passe ? On dirait que tu as vu le
diable… ou Roch Voisine, plaisanta John.
— Le diable, oui mon Dieu. New York vient d’être attaqué.
Une tour de Manhattan est en feu !
La nouvelle
laissa les deux hommes sans voix. Martha poursuivit :
— Ce sont des avions de ligne qui les ont percutées. Et
comme je venais vous prévenir, ils ont annoncé qu’un autre avion a frappé le
Pentagone à Washington.
— Une attaque aérienne contre les États-Unis, conclut George
en regardant à nouveau l’horizon. Et deux nouveaux avions en approche.
J’imagine qu’ils doivent maintenant leur interdire tout accès à leur territoire.
Allez, John, on y va, le maire va sans doute avoir besoin d’aide.
— Pour faire quoi ?
— Tu sais combien de passagers il peut y avoir dans chacun
des avions qui viennent d’arriver chez nous : entre deux cents et trois
cents. Il y en a déjà une dizaine qui attendent sur le tarmac. Et Dieu seul
sait combien vont encore se poser. Alors ils vont avoir besoin d’aide à un
moment ou à un autre !
Gander
Quelques mots sur Gander, l’aéroport sur lequel nous nous
sommes posés. Il m’a d’abord fallu quelques secondes pour resituer la région
dans laquelle nous nous trouvons : New Foundland. La Nouvelle Terre trouvée :
Terre neuve, bien sûr ! Terre-Neuve, île à l’est du continent canadien et
repère des pêcheurs de morue des ports normands et bretons des XVIIIe
et XIXe siècles. Terre-Neuve, c’est bon, je connais. Mais
Gander ? Jamais entendu parler ! Et nous allons apprendre que cette
petite ville de dix mille habitants fut un temps un nœud du trafic aérien
mondial. Difficile de le croire en voyant des herbes qui poussent à travers le
revêtement du tarmac, mais plongeons-nous quelques décennies en arrière en
hommage aux pionniers de l’aviation. Je tiens à préciser que les informations
livrées maintenant ne m’ont pas été fournies sur le coup, mais sont le fruit de
quelques recherches postérieures.
L’aéroport de Gander a vu le jour en 1938, juste avant la Seconde
Guerre mondiale. Quelques années plus tard, il est équipé de quatre pistes, et
sous le nom d’aéroport de Terre-Neuve, devient le plus grand aéroport du monde.
De par sa position géographique, entre les États-Unis et l’Europe, il connaît
une intense activité pendant la Seconde Guerre mondiale. La Marine canadienne y
construit également une importante base d’écoute pour capter les transmissions
des navires et sous-marins allemands et repérer leurs positions.
Après guerre, les avions commerciaux sont soit équipés de
moteurs à pistons, soit équipés des premiers réacteurs : ils ont en commun
d’être de gros consommateurs de carburant. Gander devient alors l’aéroport
idéal pour « refaire le plein » lors de traversées transatlantiques. Ce
sont les années de gloire de l’aéroport, rebaptisé après-guerre « Gander
Airport ». Avec l’avènement des avions à réaction à long rayon d’action,
le besoin de ravitailler en carburant disparaît. L’activité diminue donc peu à
peu, et Gander redevient un aéroport régional. Mais les pistes sont toujours
là.
Le 11 septembre 2001, lors de l’opération « Ruban jaune »,
Gander va accueillir trente-six avions commerciaux et plus de six mille cinq
cents passagers et membres d’équipage, soit près de soixante pour cent de la
population de la petite ville ! Pourquoi tant d’avions à Gander, alors que
le Canada est grand ? Les autorités canadiennes, au vu du risque important
et surtout inconnu, ont voulu éviter d’amener les avions jusqu’aux grandes
villes de Montréal et de Toronto. C’est donc à Gander et Halifax, en
Nouvelle-Ecosse, que les avions ont été détournés. Voici qui met une fin à
notre petite leçon d’histoire. Revenons donc dans notre A330, alors que la nuit
est maintenant tombée sur Terre-Neuve.
***
A bientôt pour de nouvelles aventures
Jacques-Line Vandroux
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