mardi 11 septembre 2018

11 septembre 2001 : Voyageur en transit, extrait d'un récit autobiographique

Je vous retrouve pour notre quatrième rendez-vous annuel du 11 septembre.
Après l'écriture de Au Cœur du Solstice, pour se changer les idées, Jacques avait eu envie de coucher sur le papier son vécu du 11 septembre 2001 : une escapade d'une semaine en Terre Neuve en tant que réfugié. Il y a connu un formidable élan de solidarité, pendant que je me rongeais les sangs de mon côté.
Ce récit n'a pas vu le jour. Sa motivation pour le terminer n'était pas au rendez-vous. J'ai tenté de reprendre le flambeau, mais je ne suis pas allée très loin non plus.
J'ai partagé avec vous trois extraits. A force, on réussira peut être à en faire un récit complet un jour !
Vous les trouverez sur ces liens.
Cette fois, voyons ce qui se passe du côté des habitants de Gander. Un chapitre totalement imaginé, mais qui ne doit pas être tellement éloigné de ce qui s'est réellement passé !

Préparatifs


Gander, onze heures.

— Trente-huit ! On a trente-huit avions posés à l’aéroport !
— Et ça fait combien de passagers ? demande John.
— Je n’ai pas encore toutes les informations. Inutile de vous dire que c’est le bazar, les gars. Mais à vue de nez, il y a plus de six mille personnes qui patientent dans ces engins.

Un silence succède à l’annonce du maire de Gander. Plus de six mille personnes, alors qu’ils n’étaient que dix mille citoyens à Gander ! En quelques heures, la population a pratiquement doublé.
— Et que doit-on faire ?
— Pour le moment, les instructions sont les suivantes. On les laisse à bord en attendant que la situation s’éclaircisse. Quatre avions kamikazes ont été dénombrés jusqu’à présent chez nos voisins. Mais ils ont tous décollé d’aéroports américains. 
Le maire saisit une liste sur son bureau, chausse ses lunettes et énumère :
— Le vol American Airlines AA11 a décollé de Boston, en direction de Los Angeles et s’est écrasé sur la première tour du World Trade Center à New York. Le vol United Airlines UA175, qui partait aussi de Boston pour Los Angeles, s’est écrasé sur la seconde tour. Le vol American Airlines AA77, qui allait de Washington à Los Angeles s’est encastré dans le Pentagone. Et le vol United Airlines UA93 parti de Newark pour San Francisco s’est écrasé en Pennsylvanie. Je vous propose de faire une minute de silence pour prier pour toutes les victimes de cette barbarie.
Les hommes et les femmes présents dans la salle principale de la mairie se recueillent, sonnés par cette litanie et incrédules face à la violence des évènements chez leurs voisins. Ils attendent que le maire reprenne la parole :
— A priori, il y a peu de risques avec les avions qui se sont posés chez nous. Ils viennent d’Europe et aucun mouvement suspect n’a été relevé par les équipages avec lesquels nous sommes en contacts.
— Ils vont donc repartir pour l’Europe.
— Non. Pas tout de suite et pas forcément. Tout d’abord, certains d’entre eux appartiennent à des compagnies américaines ! Ensuite, la plupart n’auraient pas assez de carburant pour faire le voyage en sens inverse. Enfin, les Européens demandent un peu de temps pour mettre en place des mesures.
— Quelles mesures ?
— Mais je n’en ai aucune idée, John !
— OK Robert, je me renseigne juste.
— T’as raison, il n’y a pas de mal. Une chose est certaine : ils sont là pour plus de quelques heures. Il faut donc qu’on se prépare à les accueillir.
Les participants à la réunion de crise se regardent, conscients de l’ampleur de la tâche. Ce sont sans doute plus de six mille personnes qui sont enfermées à quelques kilomètres d’eux. Gander n’est absolument pas équipé pour recevoir un tel nombre de passagers. Le maire ajoute :
— Il va falloir non seulement les héberger, mais aussi les nourrir… et Dieu seul sait pour combien de temps !
La tâche semble tellement insurmontable que personne n’a de mot. Jamais la ville de Gander n’avait dû affronter un tel défi, avec un tel timing. Ils ne peuvent pas laisser les passagers dans leur prison pendant des jours ! Comment les loger ? Où trouver de quoi les nourrir en quelques heures ?
— Mais comment va-t-on faire ça ? demande John. Il y a à peine cinq cents chambres d’hôtel dans la région.
— Assez pleuré les gars ! coupe Amanda MacFlur. Cinq cents chambres, c’est déjà mille personnes casées. Il n’en reste plus que cinq mille ! Tout ce monde a besoin de nous et nous n’avons qu’une nuit pour tout organiser. Nous allons contacter tous les habitants de la ville et appeler les responsables des villages du coin. On a tous des réserves de nourriture dans nos caves : alors on va les vider. On va les recevoir, nos gens tombés du ciel ! Je peux en prendre deux chez moi et je m’occupe d’aménager le gymnase avec Mélanie. Si on s’y met tous, je veux bien parier que nous serons prêts pour demain matin. Il ne sera pas dit que les Newfies n’ont pas le sens de l’accueil !
Le discours enthousiaste de l’adjointe au maire galvanise le conseil. Ils réussiront. Ils y passeront la journée et la nuit s’il le faut, ils traverseront une partie de l’île pour trouver des logements, et seront dignes de la réputation de solidarité de leur pays.
Le téléphone sonne. Le maire prend l'appel, écoute son interlocuteur, dit deux mots et raccroche.
— Toutes les routes du coin sont bloquées : plein de gens sont venus regarder le spectacle des avions parqués sur l’aéroport. Il y a des bouchons partout. On va en profiter les gars.
— Oui, enchaîna Amanda. On va faire du portière à portière pour leur demander de nous amener des vivres. Ils sont tous déjà sur place et je suis certain qu’ils répondront présents.

Gander, 12 septembre, six heures

La nuit touche à sa fin. La petite ville bourdonne d’activité. Le défi que se sont lancé tous les habitants de Gander et des environs est le plus efficace des excitants. Ils sont épuisés, mais viennent de mettre en place suffisamment de lits pour accueillir les six mille cinq cents passagers et membres d’équipage arrivés sur leur île.
 

La suite l'an prochain ? Peut-être ! Une affaire à suivre...
Jacqueline Vandroux

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